Dame à la licorne

Se donner des défis !

Un jour, mon conjoint avait trouvé dans une friperie montréalaise le livre « The Lady and the Unicorn », de Sutherland Lyall. Agréable découverte, c’est avec bonheur que je le parcourais, encore et encore, sans jamais me lasser d’admirer le travail sublime des six tapisseries réalisées en France vers le début du XVIe siècle.

À mon seul désir (La Dame à la licorne) – Musée de Cluny, Paris. Source : Wikipedia.

Durant cette même période, je dévorais aussi des yeux « Le livre de chasse », de Gaston Phoebus : j’étais émerveillée par les végétaux et les ciels, tous plus élégants et étoffés les uns que les autres.

Source : Bibliothèque Nationale de France.
Source : Bibliothèque Nationale de France.
Source : moleiro.com

À mes yeux, ces deux univers se rejoignent à travers leur ornementation d’une précision remarquable, leur élégance raffinée et leurs couleurs vibrantes. Le traitement de la végétation dans le livre de chasse rappelle celui des tapisseries de verdure, typiques de la fin du Moyen Âge. Dans les deux cas, nous sommes également témoin d’une relation « humain-animal ».

L’illustration ci-bas m’a tout de suite touchée par la tendresse qu’elle dégageait (comparativement aux scènes de chasses souvent sanglantes retrouvées dans le livre de chasse). Cette dame semblait prendre sous son aile, ou devrais-je dire sa robe, la sécurité de cette licorne. L’animal semble lui faire entièrement confiance. Ce fut donc le point de départ de mon illustration.

Tiré de mon livre The Lady and the Unicorn. From Matteus Platearius, Book of Simple Medicines, fol 160. National Library, St. Petersburg.

J’ai commencé par un croquis (maintes fois retravaillé) puis, peu à peu, j’ai façonné la robe de la dame. J’ai d’abord créé mon propre rouge, puis j’ai rehaussée avec des motifs délicats de gouache dorée, afin de lui conférer une beauté somptueuse. L’or véritable, utilisé uniquement pour les bijoux de la dame, vient souligner la richesse de l’ensemble.

Les éléments végétaux ont également constitué un défi passionnant : grâce à une succession de dégradés et de nuances subtiles, j’ai pu leur donner profondeur et dimension, créant ainsi une nature luxuriante. Mon œuvre s’est construite petit à petit, couche après couche, à l’image de la diversité et de la splendeur du monde végétal que l’on retrouve dans les enluminures du livre de chasse.

Ce fut une première belle exploration des tapisseries de verdure typiques de la fin du Moyen Âge !

Et maintenant, le résultat final !

Drôleries ou grotesques

Marginalias

Funeral of Fox Renard. Gorleston Psalter. England, 1310-1324. British library.

Dans une époque comme la nôtre où les livres sont relativement bien classés, dans des catégories clairement définies, il est toujours étonnant de découvrir des illustrations amusantes et satiriques dans les manuscrits médiévaux… surtout lorsque l’on considère que ces livres étaient produits à une époque conservatrice et à des fins essentiellement religieuses !

Bien que les livres anciens aient souvent été commandés pour illustrer des ouvrages liturgiques, il est surprenant de découvrir des illustrations telles que des escargots à tête humaine, des plantes sortant des arrière-trains, ou encore des scènes scatologiques… et pourtant, ces images existent bel et bien dans certains livres d’heures et dans des psautiers !

Breviary of Renaud and Marguerite de Bar, c. 1302-1305.

Ces images satiriques commencent à apparaître davantage à partir de la fin du XIIe siècle et atteignent leur apogée entre le XIIIe et le XIVe siècle. Le terme général « marginalia » désigne tous les éléments que l’on trouve en marge des manuscrits, qu’il s’agisse d’annotations laissées par les propriétaires ou d’illustrations réalisées par les enlumineurs. Bien que ces drôleries ou grotesques apparaissent parfois ailleurs que dans les marges, elles n’ont, a priori, aucun lien direct avec le texte principal. Elles rencontrent un grand succès dans les ateliers anglais et dans le nord de la France.

Gorleston Psalter, c. 1310-1324. (British Library Royal MS 49622, f. 13v.).

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ces illustrations ont suscité de nombreux débats ! Bien qu’il n’existe pas de réponse franche et directe sur la raison d’être de ces drôleries ou grotesques, Camille et Manning ont fourni quelques pistes grâce à leurs recherches dans ce domaine moins traditionnel (et souvent négligé) des manuscrits enluminés.

Les XIIIe et XIVe siècles ont connu des bouleversements économiques, sociaux et religieux importants. L’enrichissement de l’Église et son pouvoir grandissant ont suscité de nombreuses critiques.

Lancelot en Prose. Add MS 10294/1 f.1dr | Source: The British Library.

Professeur d’université à Chicago et historien de l’art, Michael Camille explique que ces illustrations pouvaient avoir été réalisées pour critiquer de manière humoristique les figures d’autorité religieuse, les vices humains, certains aspects sociaux, ou encore pour souligner des erreurs qui pouvaient se trouver dans la page.

Également historienne de l’art spécialisée dans les manuscrits médiévaux, Kaitlin Manning explique que parfois, les drôleries n’avaient pas de connotation vulgaire et servaient simplement à signaler des passages intéressants, ou encore à insérer du texte manquant. Elles pouvaient également représenter de simples scènes du quotidien, telles qu’un homme travaillant aux champs, à la forge, ou un scribe en train de copier un manuscrit, etc.

Roman de la Rose, BNF ms FR 25526 fol. CLXr.

Bien qu’il y ait eu des livres très modestes et d’autres luxueusement illustrés, il est important de se rappeler qu’à l’époque, un livre était un objet personnel et coûteux à commander. Il est donc probable que parfois, le contenu du livre ait été adapté aux goûts de son acquéreur, ce qui pourrait expliquer la présence de certaines drôleries.

Il est important de noter que, dans les manuscrits médiévaux, le texte a longtemps primé sur le visuel. Le texte était d’abord rédigé, puis des espaces étaient laissés en blanc pour permettre l’ajout ultérieur des illustrations.

Knight v Snail II: Battle in the Margins (from the Gorleston Psalter, England (Suffolk), 1310-1324, Add MS 49622, f. 193v.

L’ornementation des manuscrits préoccupait particulièrement les Cisterciens (un ordre monastique fondé au XIIe siècle), qui prônaient une vie épurée, voire austère, à travers une grande simplicité de vie. Pour eux, les illustrations représentant des animaux et des créatures fantastiques distrayaient l’esprit. Selon leur vision, les initiales devaient être réalisées en une seule couleur et dépourvues d’illustrations, afin d’éviter toute distraction spirituelle.

Origine inconnue.

Avant le XIIe siècle, les livres étaient essentiellement religieux et principalement rédigés par des membres du clergé. Par la suite, avec l’alphabétisation croissante des laïcs, une plus grande diversité de livres a vu le jour. En plus des livres d’heures, on a commencé à trouver des romans de chevalerie, des récits de voyages et des poèmes épiques. 

Attention à ne pas confondre les drôleries avec les bestiaires!
En effet, vers le milieu du XIIe siècle, un nouveau type d’ouvrage apparaît : le bestiaire. Ces livres sont des ouvrages animaliers richement illustrés où le texte accompagne les images : ils combinent des descriptions et caractéristiques d’animaux réels et fantastiques avec des leçons morales et symboliques.

Bodleian Library, MS. Ashmole 1511, The Ashmole Bestiary, Folio 21r. England, early 13th century.

Très vite adopté par les érudits anglais, ce genre de livre rencontre un grand succès. C’est durant cette époque qu’on observe un véritable engouement pour la connaissance du monde naturel, notamment des animaux et des plantes (herbiers).

Pour conclure, je dirais que cet article n’est qu’une simple exploration du fascinant univers des drôleries dans les manuscrits médiévaux. De nombreux chercheurs et iconographes ont étudié ces illustrations amusantes, et il ressort globalement que ces images servaient souvent à exprimer des commentaires satiriques de manière ludique, à l’enrichissement esthétique et à la transmission de messages moraux ou critiques.

Les drôleries offrent ainsi un aperçu précieux des préoccupations sociales et religieuses de l’époque

Pour approfondir le sujet, je vous suggère cette courte vidéo accessible sur le site de la Bibliothèque nationale de France :
https://essentiels.bnf.fr/fr/livres-et-ecritures/histoire-du-livre-occidental/827cc9bf-5a3e-4180-886b-9974538a24b0-livre-medieval/video/4eca87fc-8859-4c43-8020-63ec77f3bc79-droleries

Parchemin ou vélin?

TanneursSource image : www.histoires-de-paris.fr

On me demande souvent la différence entre le parchemin et le vélin. Bien sûr, tous les deux sont issus de peaux d’animaux (mouton, chèvre, etc.).

Mais la principale différence réside dans leur rendu : le vélin est plus blanc et plus lisse que le parchemin. Il est prisé pour son aspect soigné et sa grande qualité. Les veaux morts-nés permettent de produire un vélin d’une grande finesse.

Pour réaliser le très connu Book of Kells, il a fallu abattre tout près de 150 bêtes. La création d’une bible complète pouvait impliquer la mort de 500 animaux!

Le mot parchemin proviendrait du lieu de résidence du roi Eumène II, la ville de Pergame (Asie Mineure, 195-158 av. J.-C.). Il serait le premier à avoir inventé les méthodes de traitement des peaux d’animaux — qui nécessitent de longues opérations qui durent des semaines.

Livre d’heures noir

Généralement peu connu du grand public à cause de leur rareté, il existe des enluminures aux teintes sombres appelées Livre d’heures noir.

Ces enluminures sont réalisées sur du parchemin ou vélin noir, résultat obtenu par trempage dans un bain métallo-gallique. Les pages de ces manuscrits sont généralement conservés entre des plaques de verre acrylique pour des raisons de conservation, à cause de l’action corrosive de la teinture noire sur le parchemin.

Surtout une production flamande du XVe siècle, qui allait dans le sens du goût élitiste de la cour de Bourgogne.