J’aimerais vous introduire dans l’univers du célèbre manuscrit Le livre de la chasse. Ce codex est bien connu dans le monde des manuscrits enluminés, il fait même parti des manuscrits les plus précieux de la Bibliothèque nationale de France.
C’est un ouvrage de vénerie médiéval, c’est-à-dire un livre qui traite de la chasse à courre (venari en latin signifie chasser). Cette technique de chasse était anciennement utilisée et visait à poursuivre un animal sauvage jusqu’à son épuisement, à l’aide de chiens courants. Quant au rôle du cavalier/chasseur, il consistait à suivre et contrôler les chiens.
Un peu d’histoire…
Gaston III de Foix-Béarn (1331-1391), comte de Foix et vicomte de Béarn, orthographie son surnom avec la graphie de la langue d’oc Febus (et non pas Phébus ou Phœbus). Il semblerait que le comte écrivait son surnom de cette manière dans le but de se démarquer. Fébus est reconnu parmi ses pairs comme l’un des plus grands chasseurs de son époque. Ses compétences en tant qu’écrivain et poète (langue d’oc et français) lui sont particulièrement utiles lorsqu’il compose Le livre de la chasse, qui deviendra l’un des livres les plus célèbres de la littérature cynégétique. Le contenu du codex est dicté à un copiste entre 1387 et 1389 et sera dédié à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Pour Fébus, la chasse est une activité courtoise, noble et respectable, qui éloigne dignement l’Homme de l’oisiveté des plaisirs mondains.
Le texte est apprécié pour sa technicité car il décrit minutieusement les proies et comment les chasser. L’œuvre comprend quatre livres : Des bêtes douces et des bêtes fauves, De la nature des chiens et de leur dressage, De l’instruction des veneurs et de la chasse à courre et enfin, Chasse aux pièges et engins et à l’arbalète. Il existerait quarante-quatre copies manuscrites du codex.

Les enluminures
Le livre est composé de riches illustrations d’une incroyable force, comparables à celles des Bibles, et contient 87 miniatures. Les enluminures ont été confiées à plusieurs artistes, notamment au Maître des Adelphes, le Maître d’Egerton et le Maître de l’Epître d’Othéa. Les illustrations peintes s’inscrivent dans le courant gothique international (présent à la fin de la période gothique) qui se caractérise par une volonté d’élégance sophistiquée, où une grande attention est portée aux motifs des étoffes, aux détails des drapés, de la végétation, des animaux, etc.
Au moyen-âge, les illustrations s’inscrivaient dans un système de représentation très codifié. Le but n’était pas de représenter l’espace réel ni la recherche du réalisme, mais plutôt de véhiculer des valeurs hiérarchiques.
Afin de mieux comprendre les valeurs picturales médiévales, explorons-en quelques unes…
Notions de petits et de grands
Dans l’illustration ci-haut, remarquez bien la taille des cavaliers (situés en haut de l’image) par rapport aux valets (situés en bas). Étant donné leur petite taille, on serait porté à croire que les personnages du bas sont des enfants. Mais dans les faits, les cavaliers ont été représentés comme de grands personnages pour nous indiquer leur supériorité hiérarchique par rapport aux valets.
La droite et la gauche
Les éléments présentés à droite de l’image ont généralement plus d’importances que ceux présentés à gauche. Toujours dans l’exemple ci-haut, le positionnement à droite du cerf nous révèle son importance : en effet, c’est le centre de l’attention car c’est la proie chassée. Dans le même ordre d’idée, le seigneur est représenté à droite de son aide, le valet qui manœuvre le limier est situé à droite des autres valets, toujours dans la même intention de démontrer ou de renforcer la relation hiérarchique entre les personnages.
Le dédoublement
La répétition d’un élément vient toujours renforcer son action : le seigneur et son aide, les deux chiens qui se trouvent côte-à-côte, etc. Leurs forces sont alors conjuguées vers un but commun, celui de traquer la proie. Par opposition, le cerf n’a pas de double : cela intensifie davantage sa vulnérabilité et son isolement.
Dynamique de l’image
Nous assistons à un temps fort d’une scène de chasse, moment où le seigneur sonne le cor pour appeler sa meute de chiens. Tous les éléments de gauche convergent et pointent vers la proie située en haut à droite, créant ainsi une diagonale qui traverse l’image et en augmente la tension. Le cerf semble même presque prisonnier des limites du cadrage de l’image.
La vue de profil et celle de face
De manière générale, et c’est particulièrement vrai dans l’exemple ci-haut, les vues de face représentent un personnage important, figé dans un rôle hiérarchique ou royale, tandis que les vues de profil représentent des personnages qui sont en pleine action. On voit ici un seigneur représenté de face et pourvu de ses attributs royaux, entouré de valets qui vaguent à leurs occupations.
La proximité versus l’éloignement
Les éléments (humains, animaux, etc.) qui sont représentés proches les uns des autres donnent une impression de communion et se font écho dans leurs gestes. À l’opposé, un élément isolé par rapport aux autres marque soit l’importance de son statut, soit son conflit relationnel ou encore son indépendance. Dans le cas de l’illustration ci-haut, notez combien le roi est visuellement isolé des autres personnages, tandis que les valets et les limiers se touchent pour former une sorte de « ribambelle » de part et d’autre du roi, leur supérieur hiérarchique.
Les arrière-plans
Les fonds aux dallages variés, qui rappellent les tapisseries de l’époque, sont l’œuvre de praticiens spécialisés. Ils sont omniprésents dans l’œuvre. Quant à la végétation, elle a été réalisée dans une gradation de verts, posés ton sur ton, typique de la fin du moyen-âge. Le livre de la chasse est également considéré comme le premier ouvrage zoologique à voir le jour. La faune et la flore sont si bien réalisées que le naturaliste Georges-Louis Leclerc de Buffon se servira du livre comme d’un manuel d’histoire naturelle. D’autres générations de naturalistes utiliseront les illustrations du codex en exemple et ce, jusqu’au XIXe siècle.
Ainsi, le célèbre livre de Fébus fait encore parler de lui aujourd’hui car il constitue un véritable chef-d’œuvre de l’art de la chasse. Il y aurait encore matière à approfondir le sujet, mais cet article a le mérite d’être une bonne entrée en la matière !